L’algie vasculaire de la face ou cluster headache

Publié le 18 février 2021

L’algie vas­cu­laire de la face (AVF) est une céphalée pri­maire appar­tenant au groupe des céphalées trigén­i­mo-autonomiques (3e groupe de la clas­si­fi­ca­tion inter­na­tionale des céphalées ICDH).

Compte tenu des con­séquences en matière d’altération de la qual­ité de vie et de baisse de pro­duc­tiv­ité pro­fes­sion­nelle, et de la fréquence non nég­lige­able des symp­tômes dépres­sifs et des idées sui­cidaires, il est impor­tant que tout médecin soit sen­si­bil­isé sur cette maladie.

Par le Dr David Weisen­burg­er, neu­ro­logue à l’Hôpital Foch.

Sur le plan épidémiologique

La pré­va­lence de l’AVF est estimée à 1 à 3 pour 1 000, selon les don­nées d’une méta-analyse por­tant sur 10 études et pub­liée en 2008 (Fis­chera Cepha­la­gia 2008). Il existe une prépondérance mas­cu­line, avec un ratio actuelle­ment de 3 hommes pour 1 femme. L’âge moyen de début est situé entre 20 et 40 ans. Les prin­ci­pales comor­bid­ités iden­ti­fiées sont un tabag­isme à plus de 20 cig­a­rettes par jour dans 85 % des cas, des antécé­dents de trau­ma­tisme crânien, une con­som­ma­tion d’OH élevée (mais non retrou­vée dans cer­taines études récentes), la con­som­ma­tion de cannabis ou d’autres drogues. Il a été iden­ti­fié des formes famil­iales, représen­tant 7 % des cas, mais dont les gènes de trans­mis­sion sont incon­nus à ce jour.

Sur le plan clinique

 L’AVF est car­ac­térisée par des crises de douleur stéréo­typées, d’intensité sévère à très sévère (« la pire des douleurs »), à type de pieu dans l’œil ou d’arrachement de l’œil, con­tin­ue, d’installation rapi­de (en quelques min­utes), siégeant au niveau de l’œil et de la tempe, avec des irra­di­a­tions mul­ti­ples pos­si­bles (joue, max­il­laire, nar­ine, oreille, hémi­crânie, cou, épaule). La douleur est stricte­ment latéral­isée, tou­jours du même côté (même si dans 15 % des cas il peut y avoir des AVF à bas­cule d’une péri­ode à l’autre ou au cours de la même période).

S’associent dans la plu­part des cas des signes dysau­tonomiques (absents dans 3 % des cas ou peut-être trop dis­crets pour être rap­portés) : injec­tion con­jonc­ti­vale et/ou lar­moiement, con­ges­tion nasale et/ou rhi­n­or­rhée, œdème palpébral, suda­tion du front et de la face, myosis et/ou pto­sis. On observe égale­ment par­fois des signes végé­tat­ifs extracrâniens : suda­tion général­isée durant la crise, trou­bles du rythme car­diaque (FA, BAV 1), aug­men­ta­tion de la pres­sion artérielle, aug­men­ta­tion ou diminu­tion de la fréquence car­diaque. Une car­ac­téris­tique majeure, qui per­met notam­ment de faire la dis­tinc­tion avec un accès de migraine, est le com­porte­ment lors de la crise. Cet élé­ment fait par­tie inté­grante des critères diag­nos­tiques de l’ICHD. Il se car­ac­térise par une impa­tience, une dif­fi­culté à rester immo­bile, voire une agi­ta­tion avec déam­bu­la­tion (Cf. tableau : Critères ICHD‑3 de l’AVF).

Ces critères diag­nos­tiques ne sont pas exclusifs, et une AVF peut être diag­nos­tiquée même s’il s’agit d’une patiente, aux extrêmes de la vie (enfant ou per­son­ne âgée de plus de 80 ans), en cas de car­ac­tère à bas­cule d’une péri­ode à l’autre, si des signes « migraineux » sont asso­ciés, tels que des nausées, des vom­isse­ments ou une phono-pho­to­pho­bie. L’absence de signes végé­tat­ifs ne per­met pas d’exclure le diag­nos­tic d’AVF. Par ailleurs, la local­i­sa­tion ini­tiale de la douleur est par­fois trompeuse et attribuée à tort à un prob­lème dentaire.

Sur le plan évolutif

On dis­tingue les AVF épisodiques et les AVF chroniques. L’AVF épisodique représente 80–90 % des cas. Elle se car­ac­térise par des péri­odes douloureuses (1 crise tous les deux jours à 8 crises par jour), avec des péri­odes de rémis­sion de durée vari­able. Les péri­odes peu­vent dur­er de 7 jours à un an, mais séparées par des inter­valles libres d’au moins 3 mois. Cer­tains patients ne présen­teront qu’une seule péri­ode dans leur vie (1/4 des patients). L’AVF chronique (10–20 % des cas) est définie par des crises évolu­ant depuis plus d’un an sans rémis­sion, ou avec des rémis­sions inférieures à 3 mois. Elle peut sur­venir d’emblée ou après une AVF épisodique. Elle s’associe égale­ment à une plus grande comor­bid­ité dépres­sive et à une plus grande résis­tance au traitement.

Il sem­blerait qu’une évo­lu­tion pro­longée, un début à un âge tardif, le sexe mas­culin, des péri­odes douloureuses de longue durée asso­ciées à des péri­odes de rémis­sion de courte durée, la sur­v­enue d’une péri­ode douloureuse par an et la sur­v­enue fréquente de crises spo­radiques en dehors des péri­odes douloureuses soient des fac­teurs de risque de pas­sage d’une forme épisodique vers une forme chronique. A con­trario, des fac­teurs pré­dic­tifs de pas­sage d’une forme chronique vers une forme épisodique ont été sug­gérés : util­i­sa­tion d’un traite­ment pro­phy­lac­tique, le début à un âge jeune, une évo­lu­tion pro­longée et le sexe mas­culin. En con­clu­sion, les fac­teurs pré­dic­tifs du pas­sage d’une forme épisodique à une forme chronique chez un même patient n’ont pas été claire­ment identifiés.

Diag­nos­tic de l’AVF rapi­de, basé sur l’interrogatoire

L’examen clin­ique est nor­mal en dehors des crises, mis à part la per­sis­tance pos­si­ble d’un syn­drome de Claude Bernard Horner du côté de la douleur (pto­sis, myosis, énophtalmie).

Des exa­m­ens com­plé­men­taires en urgence sont inutiles, sauf en cas de pre­mière crise ou d’anomalie(s) à l’examen clin­ique afin d’éliminer une cause sec­ondaire d’AVF. Les prin­ci­paux diag­nos­tics dif­féren­tiels à évo­quer sont la sinusite (sphénoï­dale), une dis­sec­tion de l’artère carotide interne, une hypoten­sion intracrâni­enne, une artérite tem­po­rale chez les patients de plus de 50 ans, les tumeurs hypophy­saires et de la base du crâne, les migraines sans aura et l’hémicrânie parox­ys­tique. Il est com­muné­ment admis de pra­ti­quer en urgence un scan­ner cérébral avec angioscan­ner des TSA, puis une IRM dans un deux­ième temps, et, en dehors de l’urgence, de pra­ti­quer une IRM cérébrale une fois pour tous les patients.

La prise en charge thérapeu­tique est spé­cial­isée et com­prend deux axes :

  • le traite­ment de la crise : celui-ci repose sur l’utilisation en pre­mière inten­tion du Suma­trip­tan en sous-cutané 6 mg (AMM dans cette indi­ca­tion). L’efficacité est remar­quable, avec un soulage­ment à 15 min­utes dans 74 % des crises ver­sus 26 % avec place­bo. Il n’existe pas d’accoutumance au long cours, la dose max­i­male recom­mandée est de 2 injec­tions SC/24 heures, avec un inter­valle d’au moins une heure entre deux injec­tions. Les prin­ci­paux effets indésir­ables dont le patient doit être infor­mé sont l’oppression tho­racique et les brûlures au point d’injection. Il faut être par­ti­c­ulière­ment vig­i­lant, et ce traite­ment est con­tre-indiqué en cas de coro­naropathie con­nue, d’AVC/AIT, d’artériopathies, d’HTA non con­trôlée. Il est légitime d’effectuer un bilan car­di­ologique chez les patients tabag­iques de plus de 35 ans. La pre­scrip­tion se fait sur une ordon­nance d’exception. L’autre option thérapeu­tique est l’oxygène haut débit (12–15l/min pen­dant 15–20 min­utes). Il n’y a pas de con­tre-indi­ca­tion ni d’effet indésir­able. La pre­scrip­tion doit être faite par un neu­ro­logue, un ORL ou un médecin de cen­tre antidouleur.
  • le traite­ment de fond repose en pre­mier lieu sur le Ver­a­pamil. Les prin­ci­paux effets indésir­ables sont la con­sti­pa­tion, les œdèmes des mem­bres inférieurs, l’hypotension artérielle et la brady­cardie. Les con­tre-indi­ca­tions sont la brady­cardie majeure et le BAV. Une sur­veil­lance ECG est sys­té­ma­tique. L’alternative est le lithi­um avec un niveau de preuve faible.

Out­re ces deux molécules, il est pos­si­ble d’avoir recours à des traite­ments tem­po­raires (cor­ti­cothérapie avec injec­tion visant le grand nerf occip­i­tal, attouche­ment du gan­glion sphénopalatin).

En cas d’AVF épisodique, il n’y a pas d’indication à main­tenir le traite­ment de fond au long cours, et celui-ci est arrêté au min­i­mum deux semaines après la dis­pari­tion com­plète des crises. Dans l’AVF chronique, une réduc­tion de la posolo­gie du traite­ment de fond est pos­si­ble une fois la sta­bil­i­sa­tion obtenue.

Cer­tains patients évolu­ent vers une AVF chronique dite phar­ma­co-résis­tante (évo­lu­tion depuis 3 ans, crises quo­ti­di­ennes, effi­cac­ité insuff­isante du Ver­a­pamil util­isé en l’absence d’effets indésir­ables à une posolo­gie de 960 mg, du lithi­um avec une lithémie dans la marge thérapeu­tique et de l’association de ces deux traite­ments). Il existe plusieurs cibles chirur­gi­cales : stim­u­la­tion du grand nerf occip­i­tal, stim­u­la­tion cérébrale pro­fonde hypo­thal­a­mique, stim­u­la­tion du sphénopalatin.

Nous sommes bien enten­du à votre dis­po­si­tion pour répon­dre à toutes vos ques­tions, et n’hésitez pas à nous référ­er vos patients AVF. 

Pour tout avis urgent : csneuro@hopital-foch.com